vendredi 4 octobre 2013

« Songe d’une nuit d’hiver » : vous prendrez bien quelques inspirations ! (partie 2)

Lorsque l’on parle de nuit d’hiver, la première qui vient à l’esprit est évidemment celle de Noël. Mais quelle que soit sa magie, une douce et sainte nuit passée à guetter un être légendaire à la bonhommie naturelle, relooké, paraît-il, par une célèbre marque de soda, et flanqué d’une harde dont l’éclaireur est affublé d’un nez rouge lumineux, semble ne pas procurer la plus palpitante des intrigues…

Il faut bien l’avouer, la majorité des joueurs préfèrera s’embarquer dans l’aventure ferroviaire de Terreur sur l’Orient Express ou du Voile de Kali plutôt que dans celle de Pôle Express

Ce serait mésestimer le potentiel narratif de la nuit de Noël…

Noël : son Père, sa nuit, sa magie

Un peu de folklore…

Le précédent article suggérait que Noël célèbre à sa manière le crépuscule de l’année : l’abondance de ses banquets, ses réjouissances lumineuses, ses offrandes, les dons et les contre-dons permettent de se réchauffer au sein de l’hiver et de vivre un temps dans la paix et la concorde. La magie qui règne en cette période favorise les miracles, les rencontres avec le monde des esprits et le domaine du divin.

La figure du Père Noël prend véritablement corps au XIXème siècle, en même temps que la fête s'établit au sein du foyer. De nombreuses racines archaïques affleurent pourtant à sa surface.

Le Père Noël est-il le cousin, le fils caché, le successeur ou bien l’incarnation contemporaine de Saint Nicolas ? Quoiqu’il en soit, ce vieux saint aimable distribuait, bien avant le Père Noël, cadeaux et friandises aux enfants… et il continue de le faire, toujours avec autant de bonhommie, dans ces lointaines contrées orientales que sont l’Alsace, la Lorraine, la Champagne, les Ardennes, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Autriche, le Luxembourg… en bref, des régions qui savent aimer et célébrer l’hiver.

Nous pourrions également trouver une parenté, professionnelle à défaut d’être physique, du Père Noël avec Julenisse, ce petit lutin scandinave protecteur du foyer et plus particulièrement des enfants de la maisonnée. A l’occasion du Midtvintersblot, la « fête du milieu de l’hiver », ce représentant bienveillant du Petit Peuple distribuait des cadeaux aux enfants.

En remontant encore plus loin, il sera surprenant de trouver des similitudes entre la fête de Noël et les fêtes germaniques et scandinaves de Yule. Encore une célébration hivernale marquée par la lutte de succession des saisons, puisque Yule marque la mort du Roi de Houx, terrassé par son successeur le Roi de Chêne, tous deux divinités sylvestres. Mais surtout, Yule est le moment où Heimdall vient visiter chaque foyer, récompensant les braves et les gens de bien en laissant un présent dans leur chaussette, blâmant ceux qui se sont mal conduits en y laissant des cendres. C’est à se demander si le Père Noël ne possède pas du sang viking !


Le côté sombre

Mais aussi rayonnante que soit la fête de Noël, elle ne se départit jamais d’un côté sombre. N’oubliez pas que la cheminée par laquelle se glisse le Père Noël représente aussi, pour certains esprits superstitieux, ce passage sombre et menaçant ouvrant sur une nuit peuplée de créatures malfaisantes et d’esprits malins.

Le sinistre Père Fouettard ou le démon Krampus ne sont jamais loin dans le sillage de Saint Nicolas, ni Hans Trapp dans celui du Christkindel, pour punir chenapans, galopins et vilains garnements. C’est pour se repaître de cette même mauvaise graine que Grýla, géante ou ogresse, ou les deux, descend de ses montagnes islandaises à l’approche de Noël.

Et tandis que certains prétendent que le Père Noël est en réalité un ogre qui, l’espace d’une nuit et pour changer ses habitudes, offre des cadeaux aux enfants, le croque-mitaine descendrait par la cheminée pour accomplir la même mission selon une croyance médiévale des Pays Bas. Les esprits méfiants y verront une manigance de prédateur affamé cherchant à endormir la méfiance de ses proies.


Les contes de Noël

Charles Dickens a littéralement inventé Noël ! Tout au moins tel que nous le célébrons aujourd’hui. Sa nouvelle Un chant de Noël, en 1843, a conquis les cœurs et entraîné un renouveau de la fête de Noël, la plaçant désormais au cœur de la vie profane. Elle s’installe au sein du foyer, animée par la convivialité familiale, le repas de fête devant l’âtre et l’échange de cadeaux. Chaque année, Dickens a offert au public son propre présent en écrivant un nouveau conte empreint d’une « philosophie de Noël » et « d’une veine de générosité chaleureuse, rayonnante de joie dans tout ce qui relève du chez-soi et de l’âtre ».

Et accessoirement en (re)lançant ce petit genre littéraire que sont les contes de Noël. Si vous parvenez à vous le procurer, la petite anthologie Contes fantastiques de Noël de Xavier Legrand-Ferronière, éditée chez Librio, vous donnera une idée de ce qui ce faisait dans le genre. Noël est un esprit, il est donc normal que s’ouvrent certaines portes à la faveur d’une nuit empreinte de magie. Des rencontres surnaturelles se produisent, saintes et bienveillantes pour certains, sombres et funestes pour d’autres.

Rencontres saintes et bienveillantes pour tous ceux qui sont dans le besoin, oubliés par la fête, ou pour tous ceux qui sont à la recherche de l’esprit de Noël. Mais cela ne veut pas dire que cela se termine bien.

Bien que l’enfance soit au cœur de la fête de Noël, il ne fait pas bon être un petit orphelin, un jeune miséreux ou un enfant malade. L’histoire de La petite fille aux allumettes d’Andersen, bien qu’elle se déroule la veille du jour de l’An, nous le montre. Le jeune Francesco ne connaît pas un meilleur destin dans La Noël du petit joueur de violon de Camille Lemonnier. Pas plus que la petite Marthe, vivant au sein d’une bonne famille mais trop chétive et fragile, dans La Noël de Marthe d’Anatole Le Braz. Aucun ne se réveillera au matin, tous se laisseront inconsciemment glisser dans la mort, accompagnés par la vision d’un être aimé disparu, d’une petite princesse fantasmée ou de quelques compagnons du Christ…

Ou rencontres sombres et funestes pour tous ceux qui méprisent et se détournent de l’esprit de Noël. Ils en ressortent parfois grandis, et doivent parfois en payer le prix.

Le premier à recevoir une leçon est justement ce vieux Scrooge, dans Un chant de Noël de Dickens. Il lui a fallu la visite de quatre spectres, pas moins, pour comprendre la philosophie de Noël de son créateur ! D’autres ont droit à la visite du Diable, comme le révérend de Trinquelage, dans Les trois messes basses d’Alphonse Allais. Culotté, facétieux, le Diable va jusque dans l’église du révérend, afin de le soumettre à la tentation du péché de Gourmandise, en pleine messe de minuit ! Une rencontre assez légère quoique chère payée, en comparaison de celle de Cloarec dans L’aventure du pilote d’Anatole Le Braz. Refusant les mises en gardes, ce pêcheur breton décide avec son équipage d’aller pêcher à la veille de Noël. Partis à six, ce n’est que perdus dans la brume nocturne, égarés par des courants contraires, qu’ils se rendent compte qu’une septième silhouette est présente avec eux sur le navire qui commence à sombrer… On ne plaisante pas avec l’esprit de Noël !

Quelques décennies plus tard, un ancien poilu raconte sa bien étrange nuit du 24 décembre 1917, dans La nuit fantastique de Jean Lubin de Henri Béraud. Au cœur de la tranchée, il voit défiler devant lui, harassés par la guerre, sales, les traits creusés, les fantassins des années passées, sans doute morts depuis longtemps. La sentinelle qu’il relève plus tard dans la nuit lui apparait anonyme, sans visage, « pèlerin des nuits de doute, gardien taciturne des carrefours du désespoir, spectre de la patrie assassinée ». En d’autres termes, l’incarnation même de tout ce que représente le Soldat inconnu. Ce conte appartient à toute une tradition de récits de Noël de la Première Guerre mondiale, la plupart fantastiques. Mais le plus surprenant d'entre eux est sans conteste l'histoire vraie de la Trêve de Noël de 1914, qui vit des soldats piétiner le No Man’s Land pour fraterniser avec ceux d’en face.


Détournements profanes. Quoique…

La période de Noël et son folklore pourraient être des sources d’inspiration inépuisables, si ce n’était les sempiternelles resucées qui nous sont livrées tous les ans jusqu’à la nausée. Un chant de Noël en est devenu l'archétype, sans cesse adapté mais pas toujours de manière très heureuse (petite mention spéciale, tout de même, pour les jubilatoires Noël de Mickey et Noël chez les Muppets). Quelques histoires de Noël explorent cependant de nouvelles voies et valent le détour !

La BD Santa Claus, la légende du Père Noël de Michael C. Ploog, éditée chez Delcourt, invente son propre folklore, sa propre légende. Adapté d’un roman de L. Frank Baum (le père du Magicien d’Oz), ce chatoyant récit de fantasy féérique raconte le fabuleux destin de Santa Claus. Bébé abandonné dans la neige, recueilli par un géant bûcheron et allaité par une lionne des montagnes, Santa Claus grandit à la cour de la Reine des Nymphes, en compagnie d’êtres féériques. Adulte, il décide de revenir dans le monde violent des humains afin de leur donner un peu d’espoir et de bonheur en leur offrant des jouets qu’il fabrique lui-même. Une mission que certaines factions mauvaises et jalouses veulent faire échouer… Ce récit initiatique, parfois sombre et violent, souvent flamboyant, réinvente la légende de Santa Claus en racontant sa (remarquable) vie humaine. Le tout avec un dessin remarquable !

Dans un registre fantasy très différent, il existe… comment dire… un homologue, un avatar, une parodie ? du Père Noël qui remplit les mêmes fonctions que lui, mais dans un univers péremptoire (non, là, on ne peut pas dire parallèle). Le Père Porcher, dans le roman éponyme des Annales du Disque-Monde de Terry Pratchett, est la cible d’un complot d’envergure cosmique visant à l’effacer de la mémoire collective et à anéantir l’esprit de Porcher (bah non, on ne peut pas dire l’esprit de Noël). Tandis qu’un assassin aussi dangereux que dérangé commence pour cela par empêcher les enfants de croire à qui que ce soit en s’attaquant à la Fée des Dents, La MORT en personne assure la tournée du Père Porcher afin d’éviter la catastrophe. Avec son humour habituel, Terry Pratchett exploite le postulat selon lequel certaines entités ou divinités ont besoin que l’on croit en elles pour exister. C'est vrai, ça... que deviendrait la magie de Noël ravivée par Dickens si l’on cessait de croire en elle ?

L’étrange Noël de Monsieur Jack, de Henry Selick et Tim Burton, télescope joyeusement deux mythes de prime abord distincts, Halloween et Noël. Ce sont pourtant deux manières de célébrer l’hiver ainsi que l’article précédent le soulignait, si l’on tient compte de la signification celtique de la nuit de Samain. Si Jack Skellington prétend faire la tournée de Noël et apprend malgré lui qu’à chacun son métier et les rennes seront bien gardés, ce récit original conte l’histoire d’une menace mettant en cause l’existence même de Noël... et elle ne vient pas de la terrifiante maladresse de Monsieur Jack.

Sans vraiment s’extraire de la production grand public, des films tels que Le Grinch ou Les Cinq Légendes (qui ne tourne pas spécifiquement autour de Noël), tentent cependant un peu d’originalité, le premier en racontant l’histoire d’un croque-mitaine usurpant l’identité du Père Noël, le second en reprenant celui du postulat « Ils croient donc je suis ».


Finalement, il semble difficile de parler de nuit d’hiver sans parler folklore. Le prochain article essaiera donc de s’en détacher et de voir ce qui se fait d'autre.

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